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La vigne, de plus en plus une affaire de femmes par TV5 Monde

Un article issu de TV5 Monde. 12 AVR 2020 Mise à jour 12.04.2020 à 10:31 par Terriennes, Isabelle Soler.
Cet article est l’entière propriété du site TV5 Monde.

Elles sont sommelières, cavistes ou vigneronnes, et leur parcours ne dépare pas dans la cour des grands. Un exemple : il y a deux ans, l’Angevine Pascaline Lepeltier est désignée “Meilleur Sommelier de France” mais aucune femme n’a été élue “Meilleure sommelier du monde”. Au 21e siècle, le vin se conjugue encore majoritairement au masculin. Et pourtant, de la vigne au verre, la place des femmes s’accroît sans qu’elles soient à parité. Si elles ont acquis une vraie reconnaissance au-delà du genre, elles restent en sous-nombre, et peinent encore à accéder à la première marche du Podium.

Faire péter le plafond de verre !

L’intégration des femmes dans le monde vitivinicole progresse. Mais pas assez vite, selon les intéressées. Deux chiffres à l’appui : parmi les nominés dans les concours internationaux, 10% seulement sont des femmes. Et elles ne représentent qu’un œnologue sur 4.
Ce déséquilibre a conduit à la création de Women Do Wine, une association internationale de femmes, vigneronnes, cavistes, œnologues, sommelières, communicantes… Sandrine Goeyvaerts, présidente de Women Do Wine : “En 2017, j’ai poussé un coup de gueule suite aux Trophées du Vin décernés par La Revue du vin de France. Encore une fois, ils avaient très largement sous-représenté la gent féminine.”

Le vin est très connoté religieusement. Dans l’histoire on a souvent confié aux femmes les tâches subalternes, et surtout pas la vinification.
Sandrine Goeyvaerts

D’abord présente sur les réseaux sociaux, l’association compte aujourd’hui 400 adhérentes avec un même cheval de bataille : mettre à bas les clichés sexistes de la filière. En juin dernier, elles se sont réunies pour la première fois à Paris et l’intitulé des tables rondes parle pour elles : “Comment lutter et se protéger contre le sexisme dans le monde du vin ?”, “Gagner en confiance en soi, apprendre à se promouvoir. Les femmes changent-elles le monde du vin ?”, “Vin féminin, en finir avec les clichés”.  Tout un programme.

Celle qui porte ce combat est belge. Originaire de Liège, Sandrine Goeyvaerts connaît le vin comme sa poche. Récompensée comme sommelière junior, passée par la restauration et la grande distrib’, journaliste pour Le Soir de Bruxelles ou le magazine Elle, elle tient blogs, La Pinardothèque ou le Vif, comme on tenait autrefois salon, pour brocarder les idées reçues et porter des combats progressistes. “Le vin est très connoté religieusement. Dans l’histoire on a souvent confié aux femmes les tâches subalternes, et surtout pas la vinification. A partir du moment où l’on touche au vin, on touche au sacré. Les femmes ont longtemps dû considérer les règles et le sang des règles comme quelque chose de honteux, de sale, de tabou. Alors que le sang masculin, c’est celui que l’on verse de façon guerrière, il est plus valorisé”, confiait elle récemment à Rue89Lyon.
Autrice de quatre ouvrages, la Liégeoise a publié en août dernier aux éditions Nouriturfu Vigneronnes, un guide 100 % femmes. Premier du genre, préfacé par la sommelière médaillée Pascaline Lepeltier, il présente 100 femmes et leurs vins “issus de terroirs prestigieux et valorisés ou sans pedigree et méconnus”. L’éditeur enfonce le clou : “Longtemps restées dans l’ombre de leur vigneron de père/mari/frère/cousin (rayez la mention inutile) – quand elles n’étaient pas tout simplement écartées du domaine – les femmes sont désormais incontournables. Souvent moins médiatisées que leurs confrères, notamment lorsqu’elles leur sont associées, ces femmes sont pourtant présentes partout dans le vignoble français.”

Les maux, des mots

Les mots, ils sont au cœur de l’enjeu de parité. Florentine Mälher-Besse, sémiologue du vin, ne dit pas autre chose : “Il faut déconstruire le discours sur le genre du vin. Cette déconstruction est facile quand on en a conscience. Il suffit d’ouvrir le dialogue et de prêter attention aux mots que l’on dit et ceux que l’autre dit“. Pour faire des vins de femmes des vins tout court. Car pour perpétuer les clichés, les mots se posent là, ce qui énerve particulièrement les combattantes de l’égalité comme Audrey Martinez, née dans les vignes de l’Hérault et créatrice du blog la Wineista : “Dans les nombreuses dégustations auxquelles je participe, j’entends souvent que les femmes ont une sensibilité olfactive et gustative plus fine. Je refuse cette mise en avant. La faculté à déguster est liée à l’éducation sensorielle et culturelle !” Elle appelle à en finir avec les “Ah, on voit bien que ce sont des vins de femmes. Oh, les tanins sont soyeux, ils ont du charme…

On a oublié la neutralité du vin.  
Birte Jantzen, journaliste

Ce que demande la majeure partie des femmes de la filière ? La neutralité. Car le vin, comme les Anges, n’a pas de sexe. “S’intéresser au vin, c’est explorer un monde sensoriel vaste, très personnel, un univers de liberté. On a oublié la neutralité du vin. Le discours sur le vin ne l’a pas encore compris !” constate Birte Jantzen, journaliste indépendante spécialisée.

Les femmes à l'assaut de la forteresse Pinard !

Peut-être parce que le vin tient une place à part dans la culture française, qu’il n’est pas considéré par les Français comme un produit de consommation courante, mais comme un vecteur de valeurs. Décryptage du Baromètre 2019 IFOP / Vin & Société : “Les Français expriment unanimement leur attachement au vin, il fait ‘partie de l’identité culturelle de la France’ pour 96 % des personnes interrogées. Composante de l’art de vivre à la française auquel ils sont très attachés pour 86 %, produit noble pour 79 %, associé à l’héritage, enfin, pour 86% des Français.” C’est dire si les vigneronnes et autres spécialistes partent symboliquement chargées à l’assaut de la forteresse Pinard !

Une adversité propre à renforcer les vocations, comme le raconte Cécile Domergue, fille de Patricia Boyer Domergue, fondatrice du Domaine Clos Centeilles dans le Minervois. Une histoire 100% femmes. Pas de transmission comme souvent père/fille, non. Une transmission mère/fille mûrement réfléchie. Et choisie. Quand Patricia propose à la jeune Cécile de 13 ans de reprendre le domaine qu’elle a créé de toutes pièces, l’adolescente prend pour réfléchir le chemin des vignes. Reprendre ou pas cette exploitation que sa mère a su faire grandir, nonobstant le scepticisme des gens du cru, en a t-elle envie, en est-elle capable ? Elle prendra son temps et des chemins détournés (ses études puis d’autres régions viticoles et d’autres domaines) pour finalement s’associer à sa mère Patricia et continuer à porter plus haut l’excellence et la notoriété des crus du Languedoc. Ce qui a changé ? La conviction que la parité est passée par là.

L’âme du domaine reste la même mais la façon de vivre est différente. Ma mère avait quelque chose à prouver : son genre, le terroir, leurs excellences respectives, songe Cécile Domergue. En tant que fille, je revendique son héritage et sa liberté d’entreprendre. Mais se revendiquer comme femme, c’est encore valider la différence. Pas question.”

Le sens de l'histoire

Le phénomène dépasse largement les frontières françaises, selon Regina Vanderlinde, présidente de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, troisième femme à présider consécutivement l’OIV : “Partout dans le monde, les femmes participent davantage, elles ont de plus en plus de notoriété dans le monde du vin. Une évolution lente mais constante qui permet aujourd’hui à de nombreuses d’entre elles d’occuper des postes de commandement ou d’être propriétaires de leurs propres caves.” Difficile de les citer toutes mais “à l’OIV, nous avons des femmes influentes dans tous les principaux pays producteurs de vin : la France, l’Italie, le Portugal, les États-Unis, mais aussi l’Allemagne, l’Argentine, le Chili, l’Afrique du Sud, l’Australie…”

La place des femmes dans la vigne a changé comme dans beaucoup de domaines avec la Première guerre mondiale, comme l’explique Azelina Jaboulet-Vercherre, historienne du vin : “Dès le 7 août 1914, René Viviani, Président du Conseil, les appelle à remplacer ‘sur le champ du travail ceux qui sont sur les champs de bataille’“. Trois millions de Françaises sont alors concernées.

Mais à la fin du conflit, elles devront se retirer pour rendre aux hommes ‘leur place’ sans grande reconnaissance a posteriori de leurs mérites tout au long du conflit.

Grande Dame de la Champagne

Parmi celles qui ont fait mentir la règle, une figure illustre : la Veuve Clicquot qui, avant d’être une fiole bien connnue des amateurs, fut une jeune femme qui n’avait pas froid aux yeux. Nicole-Barbe Ponsardin (1777- 1866) a 21 ans en 1798 lorsqu’elle épouse François Clicquot, qui disparaît 7 ans plus tard. A 27 ans à peine, elle reprend l’affaire familiale fondée en 1772, envers et contre tout et tous, y compris son beau-père, interdit devant sa décision.  Grâce à sa force de caractère et son sens des affaires, elle fait d’une petite entreprise familiale une grande Maison de Champagne au renom international. A cela s’ajoutèrent de nombreuses améliorations des processus de production qui lui valurent, de son vivant, le titre de “Grande Dame de la Champagne”.

Boire comme un homme, déguster comme une femme ?

Les drôles de dames sont dorénavant partout et bien décidées à imposer leur style, qu’elles soient professionnelles de la filière ou consommatrices. Selon une étude du syndicat des cavistes, les femmes représentent dorénavant 50,8% des acheteurs. A Paris, tout près du quartier touristique du Marais, on trouve dans une rue discrète une devanture bleue bien connue des habitant.es du quartier. Dans leur écrin boisé, entourées de bouteilles choisies à 4 mains, Marie  et Mathilde.

Deux femmes dans la cave, ca change le regard des acheteuses, elles sont plus à l’aise, se sentent moins jugées.
Marie  et Mathilde

Elle se sont rencontrées à l’Ifopca, le centre de formation continue des commerces de l’alimentation, en 2015, lors de leur formation de cavistes. Elles se sont associées il y a près de deux ans pour le plus grand bonheur de leurs clientes : “Deux femmes dans la cave, ca change le regard des acheteuses, elles sont plus à l’aise, se sentent moins jugées. Car le choix du vin a tendance à rester, dans les familles, l’apanage des hommes. Certaines de nos acheteuses s’excusent presque de ne pas connaître”. Ont-elles l’impression d’être des femmes travaillant dans un monde d’hommes ? “Non, une équipe féminine change plus l’approche des acheteurs que des producteurs. L’expertise joue, le charme aussi, il faut l’avouer“, sourient-elles.

 

#lavignecontinue

Que l’on conjugue le vin au masculin ou la vigne au féminin, la filière à l’heure du Covid tente comme les autres secteurs d’activité de se maintenir. Avec angoisse : selon les régions, les vigneron.ne.s craignent une chute des ventes pouvant aller jusqu’à 60%, à cause notamment de la suppression de tous les salons vinicoles nombreux au printemps. C’est le cas en Alsace particulièrement meurtrie par la pandémie. Pour alléger le confinement, les sites ou applications d’apéro en ligne ont fleuri, réconfortant le monde vitinicole. Un hashtag #lavignecontinue a même vu le jour. Une initiative solidaire d’une agence de communication implantée à Dijon, la Bicyclette de Paul, spécialisée dans la filière. Elle offre des conseils de com gratuits aux entreprises en difficulté, et ce à l’échelle de la France entière. #lavignecontinue encourage les acteurs de la vigne et du vin à partager leur métier, en postant sur les réseaux sociaux photos et vidéos. L’idée : “faire découvrir la richesse des métiers du vin, et partager les initiatives d’entraide”. Et qu’importe que sous ce hastag, vous signiez vos publications en ligne, Madame ou Monsieur.

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